Interview avec Sandra Leblé : Expat ou Migrant ?
C'est surtout une question de perspective, de ressenti, de posture.
Sandra Leblé, pouvez-vous nous dire quelques mots sur vous et sur votre parcours géographique ?
Je suis Franco-Comorienne, j’ai grandi au Tchad, à Madagascar et au Cameroun, avec de nombreux voyages en Grande Comore, avant de « rentrer » en France à 15 ans où j’ai poursuivi mon lycée dans le 93, effectué ma classe préparatoire dans le 16e Arrondissement de Paris, puis mon École de Commerce à Évry!
J’ai ensuite effectué mon stage international à l’île Maurice pour retrouver un goût de l’Océan Indien qui me manquait. C’est ici que j’ai rencontré l’homme qui est aujourd’hui mon mari, qui lui vient de la Réunion.
Nous venons de rejoindre en 2021 cette belle Île Maurice pour y vivre cette fois, avec nos deux enfants, après 10 ans passés à Toulouse dans « la Ville Rose » où j’avais le plaisir et le privilège de travailler chez Airbus, sur de grands projets de transformation d’entreprise.
Quelle profession exercez-vous à l’île Maurice?
Je suis Coach Carrière et Coach d’Equipes. J’aide les entreprises à rebooster leur performance grâce à une communication plus fluide, et des rééquilibrages dans la manière de collaborer.
J’accompagne également les femmes en Coaching de Vie, afin de les aider à se remettre au centre de leurs priorités et de créer pour elles la vie et la carrière qui leur correspond.
Je travaille à Maurice, mais aussi avec la France Métropolitaine, la Réunion et les îles Comores.
Que répondez-vous quand on vous demande d’où vous venez?
Je demande de préciser la question !
Car cette question peut avoir un sens très varié dans l’esprit de celui qui la pose.
En fonction de leur réponse je dis que je suis Franco-Comorienne, que j’ai grandi en Afrique ou que juste avant d’arriver ici, j’étais Toulousaine.
Lorsque vous dites que vous avez grandi en Afrique, comment vous considériez-vous pendant cette période?
La jeune fille de 11 ans à qui on a annoncé qu’elle allait déménager au Cameroun après 8 ans passés à Madagascar s’est senti arrachée à son chez-elle, car arrivée à l’âge de 4 ans, je me sentais comme Malgache, bien que je ne parlais pas vraiment la langue.
Ce déménagement qui a été le premier dont j’ai eu vraiment conscience a réellement constitué une étape importante dans ma construction personnelle.
L’arrivée au Cameroun m’a secouée.
Je ne comprenais pas l’accent de mes camarades d’école, ils parlaient trop vite pour moi, et surtout j’arrivais avec un ego démesuré du haut de mes 12 ans, et j’ai du y injecter une grosse dose d’humilité pour réussir mon intégration. Je garde finalement un très bon souvenir de ces 3 ans là-bas et de très bons amis également.
Donc de manière objective mais un peu réductrice, on pourrait me qualifier « fille d’expat » tout simplement.
Dans mon ressenti, il s’est joué des choses plus complexes.
Je suis passée de « quasi-locale » mais appartenant à une couche sociale que je savais plutôt privilégiée … à celui d’étrangère à qui cela demande des efforts et un travail sur soi pour être acceptée.
Que pensez-vous de l’utilisation des termes d’expatrié et de migrant ?
Dans le dictionnaire, la définition de ces mots n’est pas si différente!
Dans le « Robert », un Expat est quelqu’un qui a quitté sa patrie volontairement ou qui en a été chassé. Ce mot désigne aussi une personne qui travaille à l’étranger pour le compte d’une entreprise de son pays d’origine.
Toujours selon Le Robert, un migrant, cette fois, est une « Personne qui s’expatrie pour des raisons économiques ».
Enfin, selon les Nations Unies, le mot « Migrant » désigne toute personne qui a résidé dans un pays étranger pendant plus d’une année, quelles que soient les causes, volontaires ou involontaires, du mouvement, et quels que soient les moyens, réguliers ou irréguliers, utilisés pour migrer.
C’est à se demander s’il y a une réelle différence sémantique entre ces deux mots.
Si l’on pouvait situer ces mots sur une échelle sociale dans l’esprit commun, « migrant » serait bien en-dessous d' »expatrié ».
On peut aussi intégrer, si l’on souhaite, dans les paramètres de différenciation, un paramètre de valeur économique ou sociale que l’on apporte dans le pays où l’on vient vivre.
Enfin, on peut essayer de se dire qu’un expat est plus libre de mouvement qu’un migrant.
Pourtant, si je vous demande d’imaginer un médecin spécialiste expatrié en France… et que je vous dis maintenant qu’il vient d’un pays Africain… il y a de grandes chances que vous veniez de faire une petite gymnastique de l’esprit pour changer la couleur de peau de l’expat dans votre visualisation.
Cela nous renvoie donc à nos biais cognitifs, à l’histoire politique et économiques des « pays riches » et des « pays pauvres ».
En tant que métisse qui a un peu voyagé, je vous dirais que c’est surtout une question de perspective, de ressenti, de posture.
Lorsque je suis aux Comores, je ne suis pas supérieure grâce au fait d’être à moitié Française. Non, je dois au contraire avec chaque nouvelle personne rencontrée prouver que je suis bien Comorienne, pour être acceptée, car ayant la peau claire et ne vivant pas là-bas, je suis d’abord étrangère.
Quand on arrive dans un nouveau groupe, une nouvelle ville, une nouvelle école ou une nouvelle entreprise, c’est la même chose qui s’opère.
Si le groupe est fier de ce qu’il est, et que vous êtes en minorité, c’est à vous de vous adapter à la culture du groupe, de faire preuve d’humilité et d’abnégation, quelle que soit la valeur que vous pensez être venu apporter dans ce groupe.
Et aujourd’hui, à Maurice, êtes-vous expat ou migrante selon vous?
Quand nous nous sommes installés dans la ville de Tamarin très prisée des étrangers car dotée d’une École Française et proche d’une Ecole Internationale, je savais que nous allions entrer dans cette case d' »expats ».
Mais nous n’avons pas l’impression pour autant de faire un cadeau à l’île Maurice en habitant ici.
Nous nous considérons plutôt chanceux, et c’est bien c’est le pays qui nous fait un cadeau en mettant en place des conditions favorables à divers niveaux, qui nous permettent de vivre heureux et de manière stable ici tout en étant proches des îles de nos parents, et ce dans un cadre de rêves.
Ce sont aussi les Mauriciens qui facilitent l’intégration des migrants que nous sommes en étant si chaleureux et accueillants. Car nous sommes des êtres sociaux, et si nous nous sentons rejetés par le groupe d’accueil, l’intégration ne peut pas se faire.
Alors Expat ou Migrant, que diriez-vous pour conclure ?
Qu’il est bon, lorsqu’on se définit comme expat, de garder en nous l’humilité et la gratitude d’un migrant, car on est un immigré pour le pays où l’on va.
Qu’il est bon, lorsque l’on se définit comme migrant, de se rendre compte de ce que l’on apporte au pays dans lequel on va, et d’être fier du chemin parcouru, de cette transition que l’on a osée faire.
Enfin qu’il est bon, lorsque l’on définit quelqu’un de migrant, de se demander ce sur quoi on se base pour le définir ainsi.
Connait-on son diplôme, son métier, son histoire?
N’a-t-on pas expérimenté nous-même une période de prise de risque similaire, de séparation avec ses racines pour s’établir de manière plus sereine ailleurs ?
Apprenons à retrouver nos points communs, au delà des différences qui sautent aux yeux, et efforçons-nous de respecter chacun dans le chemin qu’il dessine pour son bien et celui de sa famille.
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